Tendre colère, Sceneweb

Tendre colère, Sceneweb

Avec cette pièce pour dix interprètes, le duo de chorégraphes Christian et François Ben Aïm répond à l’état du monde, et esquisse, entre grâce et révolte, de douces utopies.

Une ligne de néons blancs est suspendue au plafond. Deux danseur·euse·s, qui évoluent sur le devant de la scène, entrent en contact, déploient des gestes souples. Les néons disparaissent, une lumière douce emplit la salle, et huit danseur·euse·s sortent de l’ombre. Depuis une bonne vingtaine d’années, le duo Christian et François Ben Aïm déploie une esthétique où les disciplines (danse, théâtre et cirque) se mêlent. Avec Tendre colère, ils déplient une fresque souple et pêchue pour un groupe de dix interprètes afin de tenter de réinventer le monde.

« Tendre colère sera un manifeste utopique, une chimère dansante, un remède à la mélancolie, un pied de nez à la rage et à la perdition. » Voilà le projet, ambitieux, des frères Ben Aïm, consigné dans le dossier artistique du spectacle. Ce qu’on perçoit d’abord, c’est un paysage à la lumière douce, chaleureuse, qui tapisse plusieurs pans du sol. Le seul élément de scénographie : une branche un peu tordue dont le bout est peint en rouge. La musique électronique de Patrick de Oliveira, au beat entraînant, crée une atmosphère brumeuse. Une communauté se dessine sous nos yeux, portée par un même souffle. Elle est humaine, animale et végétale à la fois. Les interprètes arborent des spirales, tournent sur eux-mêmes. Leurs bras sont souples, comme des algues, et ressemblent aux tentacules d’une pieuvre qui s’agiteraient vers le haut. Les corps sont mus par des déséquilibres, qui créent une illusion d’organicité, de contact avec un environnement imaginaire. Il y a de la grâce dans ce ballet, qui, au fur et à mesure, devient de plus en plus tonique. Les interprètes envoient leur énergie vers le haut, s’arrêtant par moments, comme de brefs stop-motion.

On croirait que Christian et François Ben Aïm nous initient d’abord à leur vocabulaire, avant que la danse ne se densifie et que la cadence s’accélère, pour nous inviter à les suivre, à ne pas perdre le fil. La lumière devient rouge. Les danseur.euse.s font exploser leur rage, crient. Il y a quelque chose de la révolte et de la contestation dans cet ensemble. Alors que la lumière redevient plus claire, de brefs portés se succèdent dans un élan tournoyant. Penser et réagir aux crises du monde est un thème de plus en plus présent dans la danse contemporaine, à l’instar de Katerina Andreou qui se confronte à la confusion du monde dans Bless This Mess, ou Ruth Childs qui tente, dans Fun Times, de trouver comment encore s’y amuser. Contre l’esthétique de l’effondrement qui imagine le pire, Christian et François Ben Aïm ouvrent les imaginaires et les possibles. Est-ce que la colère de ce groupe serait le moteur pour qu’autre chose advienne ? Leur capacité à se rencontrer et à entrer en contact serait-elle un premier pas vers l’utopie ?

Tendre colère se confronte à l’état du monde avec franchise, tout en proposant une manière d’exister ensemble, avec une douceur salvatrice.

Belinda Mathieu

Sceneweb, janvier 2025
3000 1870 Compagnie Christian et François Ben Aïm
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