« Traversées Nocturnes » de Christian & François Ben Aïm

« Traversées Nocturnes » de Christian & François Ben Aïm

Un trio et deux soli dont une splendide création interprétée par Alex Blondeau.

Pour la première fois depuis la nomination en 2016 de Laëtitia Guédon à la direction des Plateaux Sauvages, la danse contemporaine investit ce lieu magnifique, chaleureux et lumineux avec un programme de Christian et François Ben Aïm qui ont bénéficié d’un mois de résidence artistique dans l’une des salles de répétition.

Ils présentent Traversées Nocturnes composées d’un trio et de deux soli qui sont la suite de courtes pièces écrites pour les femmes dont le premier volet, Instantanés#1 a été créé en 2018.

La soirée débute avec Instantanés#2 dansé par Léa Lansade sur Métamorphoses nocturnes, premier quatuor de Ligeti. Entre rêve et éveil, la jeune femme oscille sans jamais s’arrêter entre torsions du corps, étirements, d’infinis mouvements de bras et de déplacements très rapides dans une écriture chorégraphique complexe, riche et très dense. Est-ce la composition musicale qui occasionne cette multitude d’ondulations ou le contraire ? Et c’est justement cette ambigüité qui provoque une étrange magie entre la grâce et la cruauté, la fulgurance et le relâchement.

La suite est encore plus étourdissante avec la création d’Instantanés#3 interprétée par Alex Blondeau. Ce troisième volet s’articule autour de la thématique de la saison, évocatrice, sombre et mystérieuse : Nuit(s). Sur le plateau resté dans le noir, un très fin fil de lumière rouge s’étale sur les bras et les mains d’Alex qui s’enroulent et se déroulent, s’étendent et reviennent avec une douceur et une délicatesse surprenantes. On songe au battement d’ailes d’un cygne sauf que l’admirable création musicale extrêmement contemporaine de Nicolas Deutsch s’approche plus de Philip Glass ou de John Cage qu’à un ouvrage classique. Puis, toujours suivie par ce rayon rouge sur ses épaules, la danseuse occupe tout le plateau et là, elle sollicite chaque muscle, chaque tendon, chaque segment de son corps avec une pléiade d’ondulations magnifiques dont elle semble en puiser l’ampleur et la puissance du centre de la terre.  Elle offre chaque geste, qu’il soit minimaliste ou non. Mais d’un seul coup, elle stoppe net cette offrande pour se relancer ensuite de plus belle dans une vague de croisements rapides de jambes, oscillations amples ou restreintes et ondoiements des bras. Entre son incroyable présence et la fluidité d’une danse si foisonnante, si vive et si panachée, Alex Blondeau prouve qu’elle est une danseuse exceptionnelle, car elle s’imprègne de chaque pas, chaque intention, chaque note de musique. On retrouve dans ce troisième volet d’Instantanés, le langage chorégraphique rigoureux, scrupuleux, inventif et si élégant des frères Ben AÎm. Une pépite !

Final avec Ô mon frère ! un trio interprété par Christian et François Ben Aïm et Rémi Leblanc-Messager. Inspirée de photos de Josef Koudelka, et sur les musiques de Leonard Cohen, cette pièce créée en 2001 parle du silence entre trois hommes marqués par l’expérience de la vie et son aridité. Silence n’est pas la vérité, car la voix de baryton-basse de Léonard Cohen emplit le plateau d’une douce nostalgie surtout avec l’un de ses plus grands succès, Famous Blue Raincoat qui narre une histoire entre frères.

Christian et François Ben Aïm dansent aussi allègrement bien qu’il y a 21 ans et Rémi Leblanc-Messager complète admirablement bien cette histoire de fratrie.  Sur des images de bateau en pleine tempête ils déploient entre ombres et lumières une tendre émotion empreinte de poésie en se croisant, s’éloignant et se retrouvant. Une pièce qui n’a rien perdu de sa splendeur grâce à ses trois formidables interprètes.

danser canal historique
Danser Canal Historique, mai 2022
2560 2022 Compagnie Christian et François Ben Aïm
Rechercher