Tendre colère, La Terrasse

Tendre colère, La Terrasse

« Tendre colère », grande et belle pièce comme un miroir de l’humanité

Christian et François Ben Aïm signent ici une grande et belle pièce de danse contemporaine. Un jeu sur la puissance des corps, de la musique et de la lumière pour explorer les contradictions de l’être humain.

C’est un sentiment de force collective qui ressort de cette création pour dix danseurs et danseuses. Pour autant, les facétieux frères Ben Aïm prennent le temps de l’installer par un prologue en forme de duo tendre et burlesque au proscénium. Puis c’est l’image d’un groupe aligné en fond de scène, d’où s’élève une voix a cappella très country… On s’attendrait presque au surgissement d’une line dance, mais c’est tout autre chose qui advient, de plus grave, plus profond : une extraction de solos, comme poussés par une nécessité intérieure, et qui viennent occuper tout l’espace du plateau. En simultané s’organise alors une rencontre entre les corps, en duos, en trios, dans une circulation ininterrompue de gestes et de traversées. La danse envahit l’espace dans un continuum infini qui permet toutefois que le regard s’attarde sur des événements. Ici un porté, là une chute, ailleurs un rassemblement qui se disloque ; la qualité de mouvement qui transparaît dans ces corps virtuoses impressionne, dans des déséquilibres constants où le dos ploie, part à la renverse avant de se rétablir dans des spirales ou des courses contrariées. De corps en corps, la danse forme une masse mouvante, avec la sensation d’une puissance collective qui se dessine peu à peu, soutenue par la musique électronique aux sonorités envoûtantes. Les gestes fusent dans une gestion constante entre énergie centripète et centrifuge, entre abandon et débordement, mais toujours dans le sens d’un commun en friction.


Un paysage de sensations

Christian et François Ben Aïm ont réussi à travers cette pièce le pari du groupe et d’une écriture portée par un ensemble, bien dans son énergie vitale et ses aspirations collectives, mais toujours prompt à s’attacher à l’Autre. Tendre colère montre de grandes séquences dansées, qui s’articulent autour de moments de rupture : une explosion de fumée qui laisse place à toutes les possibilités de micro-effondrements et de formes de portances salutaires ; un surgissement de postures grotesques qui offre une échappée carnavalesque où l’on peut hurler ou danser tout son soûl ; un monologue touchant qui appelle au réveil pour contrer la violence ; un martèlement de bottes qui convoque un autre imaginaire… Les corps et leurs variations explorent une riche palette d’états qui ne se résument pas à la matérialisation du titre de la pièce, mais proposent un paysage de sensations tout en contrastes, comme un miroir de l’humanité, entre sérieux et gravité. Mention spéciale aux costumes de Mossi Traoré : s’ils possèdent leur propre mouvement, ils savent également accompagner de leur lignes et cassures intemporelles le mouvement des corps… jusqu’aux sautillements folkloriques et aux farandoles finales en chaîne ouverte, qui sont autant d’appels à réinventer notre être ensemble.

Nathalie Yokel

La Terrasse, janvier 2025
3000 1870 Compagnie Christian et François Ben Aïm
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